Menu principal

Le Curé de Montluc 16 juin – 20 août 1944

Précisons tout d’abord que la narration de ces 64 jours passés à Montluc repose exclusivement sur des témoignages, toute les éventuelles preuves ayant été détruites par l’occupant avant son départ précipité.

La Prison de Montluc

Face au Fort Montluc c’est d’abord une prison militaire constituée de cellules de 2m. sur 1m.80. Le régime y est celui du travail dans la journée et de l’enfermement la nuit. Dès 1932 elle est considérée comme insalubre. En 1943 l’occupant la réquisitionne à l’usage de la Gestapo.

Les prisonniers qu’elle y enferme, après un passage pour interrogatoire, place Bellecour, au siège de l’organisation, sont entassés dans l’ancien parloir, de nouveau interrogés et dépouillés de tous leurs effets jusqu’au plus petit bout de papier. Ils passent là leur première nuit, sans manger avec juste un peu d’eau à boire. On leur assigne une cuillère en bois et une assiette métallique et le lendemain ils sont conduits soit dans les cellules soit dans le Réfectoire, grande pièce de douze mètres sur huit ou sont entassés 60 lits pour 80 prisonniers. Deux autre bâtiments reçoivent des populations plus ciblées : La « baraque aux juifs » et « l’atelier » où sera interné l’abbé Joffray, vicaire du chanoine.

Le Réfectoire

C’est dans cette pièce qu’est interné le chanoine Boursier. Le professeur Émile Terroine décrira remarquablement la vie dans le Réfectoire dans son ouvrage « Dans les geôles de la Gestapo » (Lyon, Éditions de la Guillotière, 1945). Contentons nous de dire que la population qui y est internée est constituée principalement de Résistants, et de patriotes, les cas les plus graves, comme celui de l’abbé Boursier sont accusés de détention d’armes ou de possession d’émetteurs de radio. La vie y est difficile, l’alimentation très insuffisante et l’hygiène minimale bien que cette pièce soit la seule pourvue d’un point d’eau. Pour rendre la vie acceptable certaines règles sont instaurées et respectées par les prisonniers eux-même et cela en plus du règlement brutal instauré par les gardiens. Les plus anciens prisonniers sont favorisés pour le couchage, insuffisant pour la totalité de la population, Un espace de jeu est organisé, ainsi que des « conférences » où chacun peut parler de son métier ou d’une de ses passions, tout cela assurant un certain ordre moral. Les médecins qui y séjournent en qualité de prisonnier assurent le « minimum possible » avec ce qu’ils possèdent et leur activité est importante vu l’état dans lequel certains détenus rentrent des interrogatoires. Notons au passage que des « taupes » sont infiltrées par la Gestapo qui imposent aux détenus une certaine retenue dans leurs propos.

Le régime pénitentiaire – les appels

Outre les règles de vie citées plus haut, les journées sont régies par les « appels ». Ils ont lieu deux fois par jour en début de matinée et en début d’après-midi. Ils sont de quatre ordre : interrogatoires, libérations, fusillades et déportation. Les « Interrogés » sont emmenés place Bellecour où ils peuvent passer la journée entière sans que rien ne se passe, mais aussi être passé à ce qu’ils appellent la « question ». Dans ce dernier cas ils reviennent à Montluc, le soir, dans un triste état. Les bourreaux ne reculent devant rien pour arriver à leurs fins : noyade (ligotés) dans une eau glacée (supplice appelé la « Baignoire »), bains de pieds brûlants, matraquage sur tout le corps … Le chanoine Boursier sera soumis plusieurs fois à ce régime sans jamais parler. Les appels pour libération sont plus heureux. Chaque détenu essayant de faire passer aux siens, par leur intermédiaire, les nouvelles que l’heureux libéré pourra leur apporter. D’autres appels sont bien plus terribles, ce sont les appels « sans bagages » de 4 heures du matin. Leur dénomination suffit à faire comprendre leur but. Enfin les appels pour déportation ne valent guerre mieux.

L’action du Chanoine en prison

Plutôt que d’ajouter un commentaire à distance, c’est au père Castagné confident et voisin de lit que nous laissons la parole : « Ce prêtre d’une foi ardente, que j’ai surtout connu comme un homme simple et bon, très près de nous, ouvert à l’affection de tous, et dont l’esprit était sans cesse absorbé par le souci de sa famille, de son église, de la France … généreux, enthousiaste pour tout ce qui est bon et beau, de cœur simple et bon, sans haine pour les bourreaux (Émile Terroine, moins confident, a une autre version, mais sur le fond son portrait donne les mêmes caractéristiques), d’abord cordial, affable, l’abbé Boursier était le meilleur des hommes. Nous l’aimions tous, croyants ou incrédules, et, lorsqu’il disait la prière, chaque soir, tous l’écoutaient avec déférence et personne, parmi les incroyants, n’aurait voulu lui faire de la peine en l’interrompant ou en couvrant sa voix. Le dimanche, à l’heure de la messe, il chantait le Credo et lisait l’Évangile : nous l’écoutions tous en silence. Il m’a appris des chants pieux que je chantais avec lui, à cette messe des détenus, bien que je ne sois pas pratiquant, mais je tenais tant à lui faire plaisir. »

Le Curé de Montluc

A son arrivée à Montluc, le 19 juin, alors qu’il savait qu’il allait partir en déportation (appels pour Compiègne) le Père Goutodier avait dit à l’abbé Boursier : « Je pars, je te laisse ma paroisse ». Sans doute ne pouvait-il pas la laisser dans de meilleurs mains. L’abbé passera son temps, comme trente ans plus tôt dans les tranchées, à soigner les âmes et les corps, étant, de l’avis de tous, d’un réconfort sans pareil. Il trouve ici un terroir pour exercer son sacerdoce au plus haut point. Dans une lettre à son évêque datée du 9 juillet 1944, écrite dans un lambeau de journal et qu’il réussira à faire sortir de la prison, il dit : « C’est un prisonnier qui adresse ces quelques mots à Votre Excellence. Pour le moment, M. l’abbé (Joffray) et moi allons très bien. Les causes de notre incarcération, je les dirai plus tard, s’il n’y a pas fusillade … Ici j’ai un ministère très actif;- je prêche, je confesse tous les jours -. L’absence d’un prêtre eut été un désastre, et en prévision des jours sombres qui se préparent, j’espère que mes souffrances et ma vie, peut-être, sauveront beaucoup de vies, de prêtres particulièrement. J’ai fait l’offrande de ma vie – pour ma paroisse, – mes séminaristes, – mes écoles, – pour l’achèvement de l’église, achèvement certain et rapide ; – pour le cher diocèse de Grenoble, et mon évêque vénéré et aimé ; – pour la France, – pour l’Église, que j’aime de toute mon âme, de toutes mes forces. J’aurais voulu travailler encore davantage pour notre si bon Maître, que j’aime comme au jour de ma première messe. Monseigneur, merci de votre bonté pour moi. Bénissez-moi. Merci »

L’abbé Boursier semble faire l’unanimité, il faut dire que comme dans les tranchées l’atmosphère des prisons favorise le rapprochement et la solidarité entre détenus.

Tous les jours, avant une prière œcuménique, il prononce une allocution encourageant à supporter le captivité sans faiblir. Les dimanches ne passeront jamais sans qu’il ne célèbre l’Eucharistie, chacun, peu importe sa foi, l’écoutait avec respect. Certains et non des plus croyants disaient de lui : « C’est le Christ parmi nous ».

Les interrogatoires

Une fois de plus pour ne pas dénaturer le faits, laissons la parole à des témoins. Claude Dériol dans l’Essor du 19 août 1956 raconte : « Ce martyr, il l’avait commencé en passant à la baignoire quatre ou cinq fois. Il fut frappé avec des lanières, à coup de plat de sable. A son dernier interrogatoire la question lui fut appliquée (car il s’agissait bien de la question comme au moyen-âge) au sujet du Docteur Goujon. Il le mit hors de cause malgré ses tortures. Il revint le soir affreusement meurtri mais heureux d’avoir aboli tout risque pour cet ami », témoignage confirmé par Émile Terroine : « Dans les souffrances et dans la torture, son courage ne faillira pas. Il passera plusieurs fois à la baignoire froide, au bains de pieds brûlants ; on tentera d’annihiler sa volonté en lui faisant respirer des narcotiques ; il sera roué de coups et, avec un sadisme révoltant, flagellé avec sa propre soutane ; rien ne sortira de ses lèvres que l’aveu de ce qu’il a fait lui-même »  (Dans les geôles de la Gestapo, page 50).

Est-il besoin d’en dire plus ?

L’appel « sans bagages »

Le 19 août, à la grande consternation de tous, en début de soirée, avec un certain nombre de ses camarades, il est appelé « sans bagages ». Prenant son bréviaire il part en toute connaissance de cause. Deux véhicules attendent les prisonniers. Celui emmenant François Boursier ne peut démarrer, l’autre part pour une destination inconnue. Les prisonniers du premier camion sont alors entassés dans la cave de la prison où ils passeront la nuit. Un second prêtre partagera leur destin, l’abbé Larue, il pourra confier à un camarade : « Ce fut une longue nuit d’amères conversations, de chants patriotiques, de prières. Nous savions que nous devions être exécutés » (MAZEL, Le mémorial de l’oppression, publié par le Commissariat de la République, Région Rhône-Alpes, 1945, p.5) . L’abbé Boursier précise à ses amis « Qu’on lui avait délié les mains quand on a su qu’il ne partait pas la veille ».

Le dimanche 20 août, à la grande joie de ses amis il est ramené au réfectoire, mais pour bien peu de temps. Une demi-heure plus tard on vient le chercher de nouveau. Les prisonniers réunis dans la cour, attachés deux par deux quittent Montluc vers 8 heures dans deux véhicules. Une demi heure plus tard après avoir traversé Saint-Genis-Laval ils arrivent dans le fort désaffecté de Côte-Lorette.

Suite : Saint Genis-Laval